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La vie et ses soupirs

L'île enchantée - Chapitre 9

La vieille femme nous installe dans la cuisine de la ferme où une immense cheminée jonche sur le côté de la pièce. Aujourd’hui condamnée, un piano de cuisine monumental y a pris place. Le reste de la cuisine est très vieux et démodé depuis 30 ans.

  • Vous me connaissez mais j’ignore votre nom, lui dis-je alors qu’elle nous sert de la limonade.
  • Je m’appelle Hélène Desgranges. Mon mari était, paix à son âme, René Desgranges un maraîcher reconnu sur l’île.
  • Nous sommes navrés pour votre mari dit doucement Lucie.
  • Ne le soyez pas. Il était cassé par le travail des champs. Il faut bien mourir un jour, répond Hélène avec un sourire.
  • Vous dites que mes grands-parents sont vos amis. Pourquoi ne vous ais-je jamais rencontré, je demande.
  • Après la mort de votre mère, ils ont coupé les ponts. Vous étiez trop jeune pour vous souvenir de mes visites.
  • En effet, oui.
  • Bon, s’exclame-t-elle en s’assayant. Pourquoi exactement êtes-vous venues me trouver et surtout, comment m’avez trouvé ?

Lucie et moi échangeons un retard. Peut-on faire confiance à Hélène ? Est-ce que je dois lui parler de tout ? Lucie faisait des signes de la tête avec les gros yeux.

  • J’ai rêvé de l’accident de ma mère la nuit dernière.
  • Rêvé, répète Hélène.
  • Oui. Mais ce rêve était étrange car j’étais spectatrice de la scène. Personne ne pouvait me voir ni m’entendre.
  • Hum hum.
  • J’ai remarqué la silhouette d’une personne et d’une maison. Je connais très bien cette route. On a pu retrouver votre maison sans problème.
  • Oui cette grande route n’était pas là il y a 30 ans. Et donc vous voulez savoir si votre rêve n’était qu’un rêve et si je suis cette fameuse silhouette, dit-elle calmement.
  • Oui, s’il vous plaît.
  • Vos grands-parents ne vous parlent plus ?
  • Si, pourquoi ?
  • Je pensais que Francine serait plus bavarde.
  • Qu’est-ce que vous voulez dire ?
  • Je suis bien le témoin de l’accident de votre mère, hélas. C’est moi qui ai appelé les pompiers. La police est venue m’interroger et a pris ma déposition. Tout le monde le sait sur l’île.
  • Mais pour quelles raisons mes grands-parents ne vous parlent plus ?
  • J’ignore la véritable raison. Votre grand-père m’a rencontré sur le marché de Barbâtre. Il a commencé par me hurler dessus en disant que j’aurai dû me taire, qu’à cause de moi sa fille était déshonorée. Pour finir, il m’a annoncé que Francine ne voulait plus me voir. La violence de ses mots m’a tellement choqué que je n’ai pas cherché plus loin.
  • C’est insensé, intervient Lucie. En quoi êtes-vous responsable de quoi que ce soit ?
  • Madame Desgranges, vous avez dit à la police que Henri Merlant et Eric Masso étaient présents ?
  • Bien sûr ! Ces gamins avaient pris la fuite. Il fallait qu’ils soient punis.
  • C’est tout le contraire qui s’est produit, soupirais-je.
  • Leurs noms ont disparu du dossier d’enquête, termine Lucie.
  • Comment cela, s’exclame Hélène. Non ! Ils n’avaient pas le droit !
  • Ils en avaient le pouvoir. Henri fait parti de la dernière famille d’aristocrates de l’île. Son implication aurait tâché le nom des Merlant.
  • Oui mais je connais la famille d’Eric. Les Masso ont toujours assumé leurs actes. Même si cela jouait sur leurs ventes.

Il eut un silence. Je fronce les sourcils.

  • Parce qu’ils ont déjà eu des ennuis, demandais-je.
  • Oui. Et là aussi, c’est un secret pour personne. Eric est tombé dans l’alcool à l’âge de 15 ans. Problèmes familiaux. Il s’est retrouvé dans de nombreuses bagarres. Il a failli tuer quelqu’un une fois. Quand il a eu dix-huit ans, la police l’a averti que la prochaine fois un séjour en prison l’attendait. Ses parents l’ont mis en cure pendant un an.
  • Alors on sait pourquoi il avait tout intérêt à rester en dehors de tout cela, dis-je de colère.
  • Ce n’est pas lui qui conduisait. Même s’il avait bu, il n’est pas la cause l’accident, répond Hélène.
  • Il a laissé ma mère crever !
  • Margaux, s’il te plaît. Marie est morte sur le coup. Ils n’auraient rien pu faire.
  • Ils l’ont abandonné. La police a fait croire à tous que ma mère était une marginale et qu’elle était saoule à cause de leur lâcheté.
  • Alors un énorme mensonge plane sur la mort de votre mère, ma petite, dit avec force la vieille dame. Mais la police a raison sur un point, Marie était une marginale.
  • Je vous interdis de…
  • Je n’ai pas dit qu’elle était folle, dit Hélène en haussant le ton.
  • Par pitié, Margaux, soupire Lucie. Reste calme.
  • Gardez en tête que j’adorai votre mère. Jamais je ne salirai sa mémoire.

Sans même m’en rendre compte je m’étais levé de ma chaise, les mains en point, en position d’attaque. Je ferme les yeux et respire un grand coup. Je me rassois alors.

  • Expliquez-vous, je lance.
  • Je ne sais pas si vous le savez mais Marie avait mauvaise réputation.
  • Malheureusement, nous sommes au courant.
  • Certains disaient que c’était une fille, d’autres que c’était une enchanteresse.
  • Une enchanteresse, relève Lucie.
  • Une sorte de sorcière.
  • Voilà autre chose, dis-je en soupirant.
  • Vous connaissez l’histoire de cette île. Pour les anciens, cette espèce n’a jamais disparu.
  • Ce ne sont que des croyances.
  • N’en soyez pas si sûre.
  • Vous êtes d’accord avec ces… superstitions, demande Lucie.
  • Que Marie était une sorcière ? Pas du tout. Mais elle avait une aura incroyable. Tout le monde l’aimait et la haïssait en même temps. Elle faisait peur. Surtout aux plus âgés de l’île.
  • Pourquoi, demandais-je pressée.
  • Parce que les femmes Desbois ont toujours donné cette impression mystique.
  • C’est de pis en pis, dis-je en me tortillant sur ma chaise.
  • Pour moi votre mère était ensorcelée.
  • Vous croyez vraiment que je vais avaler cela ?
  • Je vous fais part de mon ressenti. Vous en faites ce que vous voulez. Mais l’accident de votre mère n’en était pas un.
  • On est d’accord sur ce point.

Hélène s’arrête et me regarde droit dans les yeux. Elle se lève et met les verres dans l’évier. Elle se retourne ensuite vers nous.

  • Sachez, jeune fille, que je ne supporte pas l’insubordination. Vous ne me croyez pas ? Allez donc demander aux deux lâches concernés.
  • J’y compte bien, dis-je en me levant.
  • Vous connaissez la sortie.

 

  • Je crois que tu l’as vexée, dit Lucie en se dirigeant vers sa voiture.

 

  • Quoi ? Tu penses toi aussi que ma famille à un lien avec la sorcellerie ? Si ça se trouve je suis moi aussi maudite, dis-je en écartant les bras.

 

  • Tu en deviens ridicule, Margaux. Je pensais que tu étais plus ouverte d’esprit. On se verra demain au musée. Tâche de te calmer un peu.

 

Elle part en trombe, énervée par ma réaction. Comment suis-je censée réagir ? Je suis beaucoup trop rationnelle pour croire à toute cette histoire. L’hypothèse de l’assassinat est plus probable. Surtout si elle n’était pas aimée. Il est grand temps de faire parler les coupables.

 

En descendant l’escalier le lendemain matin, je me retrouve devant ma sœur qui me barrait le chemin vers la cuisine.

  • Salut. Excuse-moi j’aimerais boire mon mug de café.
  • Et moi j’aimerais savoir ce que tu fabriques.
  • Pardon, lâchais-je en fronçant les sourcils.
  • J’ai tout entendu de ta discussion avec Lucie hier matin. Si tu sais des choses sur la mort de maman, je veux être au courant.

Lise semble décidée et en colère. Elle est en âge d’entendre la dureté des choses. Le problème est que je n’ai aucune certitude. Mes incertitudes me rendent déjà folle. Il est hors de question que ma sœur souffre de toutes ces hypothèses.

  • Viens t’asseoir, dis-je en lui prenant la main. Ecoute, effectivement, j’ai appris des choses sur maman depuis que je suis rentrée. Mais comme tu le sais c’est très dur d’en parler avec les grands-parents. Alors tout le monde y va de sa supposition. Je te dirai ce que je sais quand j’aurai confirmation.
  • Quand ?
  • Aujourd’hui normalement.
  • Parce que ?
  • Parce que je rencontre des personnes importantes.
  • Je veux venir.
  • Certainement pas !
  • Oh que si !
  • Lise. Je ne sais pas ce qui se dira. Peut-être des horreurs et je ne veux pas que tu entendes cela.
  • Je ne suis plus une enfant, hurle-t-elle en se levant.
  • Tu n’as pas ton mot à dire. C’est moi qui décide.
  • Je te rappelle que tu n’es que ma sœur. Tu n’as pas à me donner d’ordre.

Lise part à toute vitesse à l’étage. Je suis allée trop loin, je le sais. Après un profond soupire, je me décide à me faire un café. Je prends ensuite la route vers 11h30. J’ai ainsi un peu d’avance. Je ressens de stress qu’un jour d’examen. Mais je me sens encore plus déterminée que jamais.

A dire vrai, je n’avais pas préparé de question. Je n’ai donc aucune idée de la façon dont il faut procéder. Il est probable que ma colère l’emporte mais c’est pourtant ce qu’il faut absolument éviter.

Noha m’attend dans le hall d’entrée du musée. Il se rongeait les ongles. De toute évidence, il semble aussi nerveux que moi.

  • Salut. Lucie est avec moi. Elle est aux toilettes.
  • Super. Je vous accompagne dans la salle et je redescends, dis-je quand Lucie arrive à notre hauteur.
  • Alexandre vient avec son père, informe Lucie.

J’acquiesce et leur ouvre une porte double qui donnait sur une salle de réunion. Au moment où j’entre dans le hall Henri Merlant passe les portes automatiques. Il s’avance vers l’accueil mais je réussis à l’intercepter.

  • M.Merlant.
  • Margaux, dit-il avec surprise. Qu’est-ce que tu fais ici ?
  • Et bien je travaille au musée. L’assistante de Mme Perchappe s’est sentie mal. Je vais m’occuper de la collecte de votre témoignage.
  • A vraiment ? On peut décaler sinon.
  • Un homme aussi important que vous doit avoir un emploi du temps chargé. Ne vous en faite pas je suis compétente pour cela.
  • Et bien… Je te suis, dit-il doucement.

De toute évidence, la perspective de passer un temps avec moi ne l’enchante guère. Je dois avouer que moi-même je me pose des questions sur cette rencontre. Noha a sûrement raison. Tout cela risque d’aggraver la mémoire de ma mère. Et si c’était tout le contraire ? Peut-être qu’en faisant éclater la vérité, je parviendrai à laver l’honneur de ma mère.

Henri avait échangé son grand sourire avec une expression d’inquiétude. C’est bien la première fois que je le vois comme cela. Lui qui est toujours sûr de lui. Je passe devant lui sur le palier afin de lui ouvrir la porte. A l’instant où il voit Noha, il s’arrête net.

  • Qu’est-ce que tu fais ici, demande-t-il à Noha.
  • J’ai demandé à Noha de venir également. Nous aimons avoir plusieurs générations.
  • Je pensais que tu étais contre cette histoire de mémoire, dit-il en forçant les sourcils.
  • J’ai changé d’avis. On s’assoit, demande Noha en me regardant.
  • Oui. Un instant, je reviens.

Eric Masso fait un grand sourire en me voyant.

  • Margaux ! Je suis content que se soit toi qui s’occupes de la collecte.
  • Merci monsieur. Ne perdons pas de temps.

Je les conduis à l’étage et prends une grande inspiration en posant ma main sur la poignée.

Lorsque leurs regards se croisent, Henri Merlant de sa chaise et fait un pas en arrière. Eric, quant à lui, avance en lui jetant un regard noir. Il posa les paumes de ses mains sur la grande table de réunion et se penche en avant clairement en position d’attaque.

  • Qu’est-ce qu’il fait ici, s’exclame Eric.
  • C’est plutôt moi qui devrais poser la question. J’ai rendez-vous, répond Henri en enlevant une poussière inexistante sur sa veste.
  • Eh bien, moi aussi.
  • En réalité, commençais-je en fermant la grande porte, vous êtes là pour la même chose. Donner votre témoignage, non pas pour le musée mais pour rétablir la vérité sur la mort de ma mère.
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