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La vie et ses soupirs

L'île enchantée - chapitre 3

A la fin de son récit, ma grand-mère prend sa tasse de café et boit une gorgée. Son expression est totalement indifférente.

- Tu n’en crois rien, n’est-ce pas, lui demandais-je.

- Non. Ta mère ne buvait pas. Pas une seule goutte d’alcool. Pourtant, la police a retrouvé des bouteilles vides dans sa voiture.

- Elle serait morte sur le coup ?

- Oui. Le choc a été violent. Elle a eu la nuque brisée. »

Seigneur ! Malgré moi je ne peux pas m’empêcher d’imaginer la scène. La jeune femme âgée d’une vingtaine d’années inerte dans sa voiture. Un frisson me traverse alors. Il est vrai que les conclusions de la police ne collent pas avec la personnalité de ma mère. Est-il possible que la police ai bouclé l’affaire trop vite ? A cette époque, le tourisme de l’île était en plein essor. L’annonce d’un décès tragique n’est pas une très bonne pub.

- Il est possible de retrouver le dossier de l’enquête ?

- Je n’en sais rien Margaux. Je n’y connais rien. Mais le dossier ne doit pas être très épais, ils ont rendu leur verdict en trois jours.

- Trois jours ! Ce n’est pas normal, grand-mère, tu en as bien conscience ?

- Bien sûr ! Ton grand-père doit sûrement en savoir plus, il a suivi le traitement du dossier de très près et a même fait des recherches jusqu’à trois semaines après l’accident. Il était obsédé. Il en parlait sans arrêt. Puis un jour, il est rentré d’une sortie sur le continent et n’a plus jamais prononcé un mot.

- Comment ça ? Tu crois qu’il a appris quelque chose ?

- Je n’en sais rien et depuis toutes ces années je n’ai pas posé de questions parce que cela me fatigue.

- Oui, comme cette discussion.

On échange un regard et un léger sourire. Parler de tout cela vide de toute son énergie. Je décide de stopper notre échange. On aura l’occasion d’en reparler. Je sais désormais que le véritable informateur est mon grand-père.

« Mais ce n’est pas possible, qu’est-ce qu’ils font bon sang ! » J’appuie de nouveau sur la sonnette de la porte de Lucie et Alexandre. Toujours rien. Je suis plantée là depuis un quart d’heure. Je ne comprends pas, Lucie m’a dit qu’ils seraient présents tous les deux aujourd’hui. Je pousse un long soupir. Sûrement le vingtième depuis que je suis devant chez eux. Je regarde sur le côté de la maison et vois leur voiture garée dans l’allée. Autre que l’énervement, c’est l’inquiétude qui me gagne. Et s’il leur était arrivé quelque chose ?

- Ah ces métropolitains ! Toujours pressés ! 

En entendant cette voix, je ne peux m’empêcher de sursauter. Je me retourne et aperçois Lucie et Alexandre, les bras remplis de sacs et un large sourire sur les lèvres.

- Je ne suis pas une métropolitaine, rétorquais-je en me détendant enfin.

- C’est tout comme depuis que tu vis là-bas, me dit Alexandre en me donnant un coup de coude. 

Lucie ouvre la porte, pose les sacs dans la cuisine et commence à servir un verre de limonade à tout le monde. Alexandre me guide dans le jardin et on s’assoie tous les trois.

- Alors ? C’est quoi cette fois, me demande Alex désespéré.

- Eh bien,  je n’en sais trop rien. Je sais juste que ce n’est pas la joie chez lui et qu’il est déprimé.

- Henri fait encore des siennes, dit Lucie en levant un sourcil.

Henri Merlant, le père de Noha, est un homme froid, très fermé et distant mais surtout très protecteur avec sa famille. Tellement protecteur qu’il a envoyé la petite sœur de Noha à huit ans en pensionnat. Alors que tout le monde pensait que c’était pour l’encadrer pendant ses études, Henri n’a pas hésité à avouer que c’était surtout pour l’empêcher de voir des garçons. Même si la petite n’est pas dans un couvent, elle ne sort pas et rentre rarement sur l’île. Malgré lui, Henri fait comprendre aux autres qu’il est bien au-dessus de tout le monde. Mais sur l’île ce ne sont plus les aristocrates qui dirigent. Henri Merlant n’a jamais pu accéder au moindre poste à la Mairie et pourtant il a bien essayé. Avec Noha, il se comporte comme un salo. Il ne l’a pas enfermé en internat mais au manoir. Ses parents n’accordent leur confiance à personne. Par chance, Lucie, Alexandre et moi avons réussi à nous les mettre dans la poche. Car même aujourd’hui, alors que Noha est adulte et responsable, le poids de sa famille est toujours aussi lourd. La preuve en est l’histoire tragique avec Gabrielle.

- J’en ai peur, oui, soupirais-je.

- Quel connard celui-là !

- Alex !

- Oh Lucie, s’il te plaît. Il ne protège pas ses gamins, il les pourrit. Tout ça parce que « monsieur » est descendant d’une grande famille de l’île, ses enfants ne doivent pas se mélanger. Je crois qu’il n’est pas né à la bonne époque.

- Sûrement. Mais Lucie a raison. Il s’agit du père de Noha. Un peu de respect pour la famille de ton ami.

- Est-ce qu’il en a pour son fils ?

- Bon, ne commencez pas à vous crier dessus comme vous savez si bien le faire, intervient Lucie. On s’en fout d’Henri, ce qui compte c’est Noha. Tu sais ce qu’il fait de ses journées, Margaux ?

- Comment je pourrai le savoir ? Je suis là depuis deux jours et Noha ne m’appelle jamais.

Lucie haussa les épaules. Je réfléchis un peu et me souviens de quelque chose.

- Je sais que son nouveau livre vient de sortir il y a quelques mois. Peut-être qu’il en écrit un autre. C’est une chose qui lui permet de s’évader. Alors dans ce cas il doit être enfermé ses quartiers au manoir.

- Allons le voir, répond Alexandre.

Tous les deux se lèvent et commencent à avancer vers la maison. Un sentiment de panique s’empare de moi alors. Aller au manoir avec le rêve que j’ai fait la nuit dernière ? Je n’en ai absolument pas envie.

- Oui, je peux me tromper aussi, hein ! 

Lucie se retourne vers moi alors qu’Alexandre lui prend les verres et rentre dans la maison.

- Je sais aussi qu’il participe à des séminaires sur le continent.

- Enfin Margaux, tu sais très bien que les séminaires sont des prétextes pour quitter l’île.

- Pas seulement. Il va vraiment participer à certains d’entre eux.

- D’accord,  mais les séminaires de philosophie sont rares. Pourquoi tu ne veux pas aller au manoir ?

- Je n’ai jamais dit que je ne voulais pas y aller.

- Margaux.

Elle me regarde avec insistance. Je me redresse sur ma chaise et baisse les yeux. Quand j’ose enfin la regarder, elle se met à rigoler.

- Ne me dis pas que cet endroit tu fait toujours peur, me demande-t-elle.

- Peur ? De quoi tu parles ?

- Tu te souviens de cette soirée, dans la cuisine ?

La maline ! Elle a compris que je lui mentais.

- Oui je m’en souviens.

- Bon, vous venez, lance Alexandre de la fenêtre.

- N’en parlons plus. Comme tu m’as dit à l’époque, c’est ridicule, termine Lucie. 

 

La mère de Noha nous accueille au manoir. Par ce temps, la porte est grande ouverte. Elle nous salue tous avec un chaleureux sourire.  Moins fermée que son mari, Charlotte Merlant est une femme simple et moderne. Par je ne sais quel miracle, elle a obtenu de la part d’Henri l’autorisation d’ouvrir le domaine aux touristes.

- Bonjour, Charlotte. Nous sommes désolés de vous déranger chez vous. Mon Dieu que cela sent bon, m’exclamais-je en sentant l’odeur de fleur d’oranger.

- Voyons les enfants, vous ne me dérangez jamais. Je suis contente de te voir Margaux. Cela fait longtemps. Oui, il y a des brioches au four. Vous restez en manger un morceau avec nous ?

- Et comment, rigole Alexandre.

- C’est gentil, madame, mais nous sommes venus voir Noha, dit Lucie.

- Il est à l’étage. Vous connaissez le chemin. N’hésitez pas à descendre si l’envie de manger devient trop forte.

Le manoir des Merlant se monte sur trois étages et fait plus de trois cents mètres carrés. Les sept chambres et cinq salles de bains sont d’un haut standing. L’auberge accueille en toute saison. Bien sûr, que des personnes fortunées. Le style ancien du bâtiment mélangé au mobilier moderne en fait un endroit hors du temps.

Noha a pour lui tout seul un espace d’une cinquantaine de mètres carrés. Chambre, bibliothèque, bureau et salle de bain.

En arrivant devant sa porte, on peut entendre un air de musique classique. On frappe à la porte mais rien ne se passe. Lucie décide de rentrer. La première pièce est vide, le bureau également. Je me dirige donc vers la chambre mais Alexandre m’arrête.

- Imagine qu’il soit en train de se mater un film cochon, chuchote-t-il.

Lucie et moi levons les yeux au ciel. Qu’est-ce qu’il peut en raconter des conneries des fois celui-là ! Nous trouvons Noha allongé sur le lit, les bras positionnés le long du corps et les yeux fermés. Il sourit légèrement, bercé par la musique. J’échange un regard avec mes amis avant de rigoler doucement.

- Vous pensez qu’il est mort ?

Noha fait alors au saut sur son lit et ouvre les yeux en grand, aux aguets. Nous rigolons alors que lui essaie tant bien que mal de calmer les battants de son cœur.

- Vous êtes des grands malades, dit-il en éteignant le home cinéma.

- Oh excuse nous ! C’est que c’était drôle, dit Alexandre.

- J’aurais pu mourir d’une crise cardiaque.

- N’exagérons rien, répond Lucie.

On se dirige tous vers le salon-bibliothèque et chacun prend place dans les canapés.

- Bon alors qu’est-ce que vous foutez là ?

- On est venu voir notre bon copain, sourit Alexandre.

- Ouais ben, j’étais en plein boulot.

- On a vu ça, oui.

- Je testais une nouvelle méthode.

- Et alors ça fonctionne ?

- Pas tellement.

- Bon qu’est-ce que tu as prévu de faire cet été, intervient Lucie.

- Rien. J’ai commencé un nouveau livre. Mais je ne suis pas très inspiré.

- Comment veux-tu trouver l’inspiration si tu restes enfermé dans ta prison dorée, dit Alexandre.

- Ce n’est pas une prison ! Je me sens très bien dans mes appartements.

- Tu t’entends quand tu parles ? « Je me sens très bien dans mes appartements », se moqua Alexandre en prenant une voix de vieil aristocrate.

- Tu m’emmerdes, Alex !

- Voyons Alexandre laisse-le, lançais-je. Mais il a raison, tu sais. Ce n’est pas en te focalisant entièrement dessus que tu trouveras une solution à ton problème. Bouge un peu.

- Je ne sais pas. Mon père ne va pas apprécier le fait que je sorte seul.

- Ah déci…

- Tu peux venir manger à la maison ce soir, intervient Lucie avant qu’Alexandre ait le temps de terminer sa phrase.

- Ça c’est encore possible, répond Noha en souriant.

- Super. On t’emmène. Comme ça tu seras obligé de dormir sur place.

- Bonne idée. Je range un truc dans le bureau de mon père et je prends mes affaires.

Noha se lève d’un coup, se dirige dans sa chambre puis revient deux secondes plus tard. Alors que les deux amoureux restent assis, je suis Noha dans le bureau de son père qui se situe en face de sa porte.

- Waouh ! Je n’étais jamais venue dans cette pièce ! 

Le bureau de son père était immense. Il se compose de trois espaces qui lui permettent d’accueillir ses invités à son bureau mais aussi assis dans de confortables canapés, ou encore autour d’une immense table ovale. La pièce est très sombre. C’est sans doute celle de la maison qui a subi le moins de modifications avec le temps. La grande bibliothèque, qui fait tout le tour dans la pièce, et les vieux portraits de famille accentuent cet effet de pièce de château.

- Ouais, mon père n’aime pas que l’on traîne ici. C’est son jardin secret, dit-il en haussant les épaules et en fouillant les étagères de CD. Il était où cet album ?

Alors que je me promène dans l’espace, mon regard s’arrête brusquement sur un buffet sur lequel reposent des photos. On peut y voir des photos de famille, un chien, un groupe de pêcheurs en herbe, une bande de copains du lycée. Je reconnais d’ailleurs la grand-mère de Noha, aujourd’hui disparue. Une femme adorable. Mon cœur s’arrête d’un coup. Une photo attire tout particulièrement mon attention. Je ne peux m’empêcher de prendre le cadre dans mes mains.

- Voilà ! Il est rangé, dit Noha. Qu’est-ce que tu fais ?

Comment c’est possible ? Je ne comprenais plus rien. Alors que l’incompréhension devient de plus en plus grande, Noha s’approche de moi et se poste derrière mon épaule pour regarder le cliché.

- Tu connais cette personne ?

- C’est ma mère.

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