27 Octobre 2019
Ile de Noirmoutier, 2017
Enfin ce sont les vacances ! me dis-je en passant sur le pont qui sépare l’île du continent français. L’année avait été dure pour moi et les derniers examens plus que laborieux. Je ne saurai dire si je les ai réussis. Je fronce les sourcils en pensant au sujet de littérature médiévale. On ne pouvait pas faire plus tordu ! Heureusement, mon examen de langue vivante c’est magnifiquement bien déroulé.
Je soupire et mets mes lunettes de soleil sur le nez. En cette fin d’après-midi le soleil est doux. On est encore loin des chaleurs étouffantes de l’été alors que celui-ci commençait dans quelques semaines. D’ailleurs, le fait que la saison ne soit pas encore commencée se voit sur les routes.
J’ouvre la fenêtre de ma voiture pour respirer l’air marin. Je suis chez moi. Je souris en pensant à tout ce que j’allais retrouver. Ma famille, mes amis, mon île. En ce début du mois de juin, où il n’y a personne sur les plages et dans les bars -du moins aucun touriste- tous les jeunes se retrouvent pour parler de l’année scolaire qu’ils ont vécue et des soirées de folies qu’ils prévoient d’organiser tout l’été. On en profite avant que d’autres viennent envahir notre havre de paix.
Alors que je filais sur la route, la fameuse radio vendéenne passe un vieux morceau qui me donne le sourire. Je monte le son et « Satisfaction » s’élève dans l’habitacle. Je me mets à chantonner. Cette musique convenait bien à la situation.
J’arrive enfin à Barbâtre. Depuis l’âge de cinq ans j’habite avec mes grands-parents et ma petite sœur, Lise, de deux ans ma cadette. En arrivant dans l’allée du garage de la maison, je vois sursauter ma grand-mère. La musique l’avait sans aucun doute surprise alors qu’elle taillait ses rosiers. Je coupe alors tout contact et accours vers elle.
Je la regarde reprendre son souffle. Puis, d’un coup, elle se met à rire. Nous rions alors ensemble de la situation. Elle me donne une tape sur l’épaule.
On partage un regard complice. On dirait deux copines qui se chamaillent.
Nous rigolons toutes les deux et ma grand-mère s’arrête en regardant ma voiture. Elle soupire alors.
J’observe ma bagnole. C’est un Saxo de 1999 qui a passé les trois cent mille kilomètres mais qui ronronne à merveille. Sortie d’usine elle était verte. Mais un salopard m’a enfoncé ma portière passagère pour voler de la monnaie et des clefs de maison qui n’était pas les miennes. J’ai fait remplacer la portière avec une pièce de la casse, de même pour le pare-choc arrière. J’aime ma voiture elle me ressemble.
En sortant mes valises de la voiture, j’observe la petite maison. Typiquement vendéenne avec ses murs blancs, ses tuiles orange et ses volés bleus. Cela me change des HLM et grands bâtiments universitaires. Lorsque je passe le seuil de la porte, des odeurs de sel et de sable mouillé m’enveloppent. Des odeurs m’ont suivi pendant toute mon enfance et qui me manque quand je suis dans un amphithéâtre. Je pose mes bagages en bas de l’escalier en bois clair et admire la décoration marine de la maison qui n’a pas changé depuis les années quatre-vingt-dix.
Ma grand-mère pose la cafetière, les tasses, le sucre et les petits gâteaux sur un plateau et me lance un regard noir avant de s’enfuir vers la terrasse. Je la suis de près.
A ce moment-là, Lise fait son apparition sur la terrasse. Elle lâche son sac à dos par terre, s’affale dans une chaise et pousse un profond soupir.
Ma grand-mère me lance un regard noir auquel je réponds en levant un sourcil. Ma sœur se tourne alors vers elle attendant une affirmation. Grand-mère béguait et finit par soupirer. En hochant la tête, elle confirme son approbation. Lise sourit et embrasse grand-mère sur la joue.
Alors que je sors de la douche, une serviette nouée autour de moi, mon téléphone se met à sonner. Je cours pour traverser le couloir et atteindre ma chambre. Je décroche sans même regarder qui m’appelle.
C’est un brouhaha de parole et de cris qui me répond. Je ris alors, devinant qui est au bout du fil. Quand les hurlements cessèrent, je commence à parler.
Je raccroche en rigolant. Ce coup de téléphone annonce une bonne soirée entre copains.
Je me retourne et regarde Grand-mère plier le linge.
Mon grand-père rentre du marais pour l’heure du dîner. Il s’assoit à table et commence à manger.
Pas très expressif, je sais. Je ne fais aucune remarque car je devine la dure journée qu’il a pu passer. Et puis, quand il répond « hum », mieux vaut ne pas lui parler. Nous mangeons en silence, Lise étant parti chez ses amis. Puis mon grand-père se met dans le canapé, une bière à la main, devant son émission.
Je regarde l’horloge de mon tableau de bord : 22h11. Bon, j’aurai le quart d’heure vendéen. Ils ont l’habitude.
Je traverse alors les marais salants direction Noirmoutier en Ile. Je réussis à me trouver une place sur le parking du port, le long de la rue de tous les bars. Des bars qui sont étrangement bondés. Je me dirige vers les ruelles pour rejoindre mes amis qui sont au « Tamtam », un bar à bières. Des hurlements me parviennent et je souris. Je sais d’avance que je ne vais retrouver que des personnes que je connais et que j’apprécie. Arrivant devant l’enseigne, je découvre des jeunes assis sur le bitume, des grandes tablées de joueur de cartes. Noha, Alexandre et Lucie sont déjà installés. Lorsque Noha me voit, il se lève et crie :
Alors tout le monde me regarde et souris. Plusieurs viennent même me dire bonjour.
J’ai dû aller à l’école avec, elle me dit vaguement quelque chose.
Je ne suis pas sûre mais j’ai dû repousser ses avances plus d’une fois, malheureusement. Enfin, une gamine de seize ans me sert dans ses bras. C’est la petite sœur d’un de mes potes. Mes trois meilleurs amis accourent vers moi. C’est un véritable plaisir de les revoir.
Noha ne semble pas avoir changé d’un pouce. Toujours autant de prestance et de nonchalance. Il semble détendu, l’alcool aidant sans doute. Pour autant, je sens rapidement que quelque chose ne va pas. Je suis sa confidente depuis des années. Je sais que j’aurai droit à un rapport détaillé sur l’année passée.
Puis viennent les deux tourtereaux. Alexandre et Lucie s’enlacent en me regardant les yeux pétillants. Toujours aussi collés l’un à l’autre. J’ai appris qu’ils avaient emménagé ensemble à Noirmoutier. Je pense que leur couple va durer. Ils ont la tête sur les épaules tous les deux. Lucie est esthéticienne et Alexandre travaille dans les marais salants. Un métier transmis par son père. C’est une relation compliquée mais sincère.
Ah oui ? Mais comment pouvaient-ils savoir que je rentrais aujourd’hui ?
Nous nous installons à la grande table de joueur de cartes. J’ai promis que je ne me soûlerai pas mais je ne vais tout de même prendre une bière. Je commande dans ma préférée.
Pendant que Lucie distribue les cartes, je regarde Noha. Il m’a à peine adressé la parole. Qu’est-ce qu’il se passe ? Je remarque qu’il a déjà deux peints vides à côté de lui. Merde ! Il a bien bu. Il faut le prendre avec des pincettes.
Pour se faire pardonner, il me sert fort dans ses bras. Je sens alors son parfum. Une odeur que j’avais eu la chance de sentir dans une grande parfumerie à Nantes, sur le continent. Il est bien le seul de cette île qui peut s’offrir ce parfum.
Noha est le dernier fils d’une lignée d’aristocrates de l’île. Alors l’argent n’est pas un problème. Il a obtenu sa licence de philosophie avec félicitation du jury il y a peu et il a décidé de faire une pause dans ses études pour écrire et s’intéresser à l’art. Très peu d’entre nous peuvent se permettre de prendre une année pour découvrir des choses. C’est soit tu travailles, soit tu étudies pour avoir un diplôme et travailler. Le mot de la fin est le même. Malgré sa richesse, Noha a su rester humble et généreux. Tout le monde l’adore.
Il me lâche enfin et reprend ses cartes. C’est tout ? Non, il y a vraiment quelque chose qui cloche. Je plisse les yeux et m’intéresse à mon jeu. On dirait que c’est mon jour de chance.
Deux heures plus tard, Alexandre et Noha sont assis dehors avec tous les autres jeunes très alcoolisés. Ils rient, chantent et boivent encore et encore. Lucie et moi tournons au jus de pomme.
Ces yeux ont du mal à rester ouverts et il s’est soulagé la vessie au moins trois fois en un quart d’heure. En effet, cela risque d’arriver.
Il ne peut pas rentrer seul. Il va se tuer ou pire tuer quelqu’un ! Cela fait six mois que l’on ne s’est pas vus et il faut que je sauve une nouvelle fois la situation.
Elle hoche la tête et nous nous retournons vers les gars qui sont possédés d’un fou rire. Au bout de trente secondes, ils tombent à la renverse sur le sol froid et sale. Lucie et moi échangeons un regard et posons notre verre. La soirée est officiellement terminée.
Nous traversons la rue quand Noha à vomir. Alexandre éclate de rire en le voyant. Il manque même de faire tomber Lucie. Je sors un mouchoir de mon sac et le tends à Noha.
Je récupère Noha et nous marchons tant bien que mal jusqu’à ma voiture. Une fois sur la route, je me demande ce qu’il peut bien se passer pour que Noha se soûle jusqu’à en être malade. Le peu de fois où s’est arrivé, Noha buvait pour oublier ses malheurs. A croire qu’il a un problème avec l’alcool. Il me semble pourtant qu’il n’y a pas de raison particulière ce soir.
Je le regarde dormir alors que nous filons sur la route vers l’Epine, une autre petite ville de l’île. Les Merlant, la famille de Noha, ont un grand domaine en pleine forêt. Je remarque qu’il respire fort que la sueur perle sur son front. J’appuie sur le bouton de sa fenêtre discrètement pour lui donner un peu de fraîcheur. Mais il remue et ouvre les yeux.
Il ne répond plus. Alors je risque un regard vers lui. Il se trouve qu’il me regarde également.
On arrive au fort de ses parents et Noha réussit avec difficulté à retrouver ses clefs. Il actionne le grand portail en fer.
J’observe Noha. Ses yeux sont remplis de tristesse. Il a besoin de moi. Cela ne m’ennuie pas en fin de compte et j’ai besoin de mon ami. Je dois comprendre pourquoi il est si distant.
Nous rentrons dans tous les deux dans la bâtisse. Une lumière est restée allumée dans la cuisine, on peut la voir depuis l’immense hall d’entrée.
Non, en effet ! Les Merlant n’ont pas à se soucier de la facture d’électricité. J’observe la décoration de la vieille bâtisse. Rien n’a changé depuis que je suis parti faire mes études sur le continent. Les parents de Noha ont choisi de garder le charme ancien de domaine. Tout est d’époque. J’ai toujours eu une drôle de sensation quand je venais ici. Je me souviens que Lucie m’avait un jour demandé si je pensais que le manoir était hanté. Nous étions descendus dans la cuisine pour trouver de quoi grignoter un soir où nous dormions sur place. Je n’ai pas osé lui dire que je sentais un regard pesant sur moi. J’avais même rigolé à cette idée. Je sens encore ce regard. Cela me fait froncer les sourcils. A ce moment, Noha allume les lumières du salon situé à droite de l’immense escalier en bois.
Je m’installe dans le canapé tant dit que Noha se dirige vers le bar. Il se fout de moi ? Je lui lance un regard noir, il me sourit t lève son verre. Je soupire de soulagement en voyant qu’il ne s’agit que d’eau.
Il se place à mes côtés et boit d’une traite son verre.
Son regard devient sombre et il regarde ses mains tenant le verre. Il fait un grand soupir et pose le verre sur la table. Je l’observe faire. Merde ! La dernière fois que je l’ai vu comme cela, il m’annonçait que son père avait appelé l’école d’art dramatique du Québec pour faire opposition à sa candidature. Cela ne sent pas bon du tout.
Je prenais tout cela à la rigolade. Je suis surprise en apprenant cette nouvelle. En revanche, Noha est extrêmement sérieux.
Suite dans deux semaines